Des images vides ?

30 Déc 2005

Quelque chose comme une vigilance, un regard très présent, « aux aguets ».

Il y a aussi un mystère; pas d’explication, pas d’anecdote, pas de «genre» identifié ; par exemple les personnages nus n’appartiennent pas au genre «nu» (comme ‘nu artistique’ ou ‘nu académique’ ou ‘nu d’atelier’) ; ce sont plutôt des scène ‘naturalistes’ –à la limite le peintre n’est pas censé être là.

Au fond c’est un regard photographique ; ou bien une expérience mentale : qu’est-ce que ça serait que de voir par les yeux d’Edward Hopper…

C’est peut-être pourquoi je ressens ces tableaux comme porteurs d’une émotion très présente, —difficile à nommer : pathétique ? Regret, nostalgie ?

Je pense au « wunschloses Unglück » (Le si pauvre « malheur indifférent » de la traduction française).

Je vois de la tristesse, mais comme si, face à l’’indifférence du monde, le tableau voulait dire : « tu ne t’occupes pas de moi, eh bien je t’ignore ! » (oxymoron parfait).

Pourquoi Hopper ?

29 Déc 2005

Un instant Hopper est pour moi lié à une sensation d’engourdissement, une envie de vie végétative…un moment de la vie réelle qui me projette dans les impressions que me donnent les tableaux de Hopper.

Il y a dans les tableaux de Hopper des gens fatigués qui se reposent –comme le clown qui fume une cigarette—des gens le regard perdu, les yeux dans le vague, qui regardent au loin, par la fenêtre ; souvent assis ailleurs que sur des chaises (une balustrade, un trottoir, un lit) ; des gens absents, qui rêvassent ; des gens qui sont absents aux autres.

Il y a aussi des lumières d’après-midi, j’y sens une tiédeur, quelque chose du cocon, et des moment suspendus –les personnages sont presque toujours immobiles—ce sont comme des fragments d’éternité, comme si la décrépitude pouvait s’arrêter.

Je retrouve la lumière immobile des fins d’après midi, dans la vallée du Loir, quand les ombres des haies de peupliers sont immenses, et qu’on perçoit ce court moment d’arrêt avant le crépuscule, ce temps immobile lui aussi ; et qu’on se dit que si on pouvait rester là, comme ça, peut-être on accèderait à l’éternité.

Un moment de magie dans un café de la rue des Ecoles (Paris, France).
Du bar où je prends mon sandwich, j’aperçois dans la cuisine une image tout droit sortie d’un tableau (inconnu) d’Edward Hopper :
dans la lumière très crue, verticale, jaune, à gauche, appuyé contre un meuble en métal, un homme en tablier bleu bavarde avec une femme –au centre– elle aussi en tablier bleu, mais dont je ne vois qu’une partie : un meuble en surplomb coupe son visage horizontalement, et je ne la vois que depuis les cernes des yeux jusqu’aux pieds; une femme mince, en pantalon quelconque, les bras croisés; plus à droite, le meuble qui sépare le bar de la cuisine, le percolateur et le bar lui-même.
Le bar est calme, presque vide ; cette semaine entre Noël et le jour de l’an… et il est tôt pour déjeuner.
L’homme est mince, brun, il parle de façon animée, avec des mimiques et de gestes de la main (pas très Hopper, ça…).
Je me demande un instant si une photo rendrait l’impression que j’ai. Comme si j’avais par inadvertance pénétré dans un coin de « Nighthawks ».
Cette impression de solitude, de silence, la lumière immobile chez Hopper, même la lumière oblique du soleil. Peut-être que Hopper voulait réaliser ça : créer des instants d’éternité?